Lorsqu’un ministre de l’Agriculture, dix mois après sa prise de fonction, présente l’hydroponie comme un pilier de son « agriculture intelligente » sans jamais la distinguer de l’agriculture biologique, il ne commet pas une simple erreur technique, il révèle une ignorance fondamentale qui condamne toute ambition d’autosuffisance alimentaire pour Maurice.
Hydroponie et Cie
Soyons clairs, car le ministre ne l’est pas. L’hydroponie est l’exact opposé de l’agriculture biologique. C’est une culture hors-sol où des plantes, les racines nues, sont perfusées en continu avec une solution d’engrais chimiques de synthèse. Il n’y a pas de terre, pas de vie microbienne, pas d’humus. C’est de la chimie pure dans un hangar climatisé, totalement dépendante d’intrants importés et d’énergie.
L’agriculture biologique, la vraie, repose sur un principe aussi simple que profond : nourrir le sol pour nourrir la plante. Le sol est un écosystème complexe, une symphonie de milliards de micro-organismes qui transforment la matière organique en nutriments assimilables. C’est ce sol vivant qui donne aux plantes leur résilience, leur vitalité et leur valeur nutritive. Dans la plupart des pays qui prennent le bio au sérieux, l’hydroponie ne peut prétendre à cette certification, car elle viole ce principe fondamental. La présenter comme une solution d’avenir à Maurice n’est pas digne d’un ministre de l’agriculture, mais plutôt d’un ministre de l’agro-business.
Le Compost : déjà oublié
Pas une seule fois le ministre n’a prononcé le mot « compost ». C’est pourtant la pierre angulaire de toute fertilité durable. Pendant qu’il disserte sur les drones, des tonnes de matière organique — notre futur humus — continuent d’être enfouies dans les décharges. Ce trésor pourrit, se mélange à d’autres matières toxiques, produit du méthane et pollue notre atmosphère et nos nappes phréatiques au lieu de régénérer nos sols épuisés.
Toute politique agricole soutenable devrait commencer par un plan national de compostage décentralisé. Chaque village, chaque quartier devrait transformer ses déchets verts en fertilisants naturels. C’est une solution locale, créatrice d’emplois et accessible à tous, qui nous libérerait progressivement de la dépendance aux engrais chimiques. Mais le ministre préfère la technologie qui épate à la logique qui nourrit.
L’Illusion High-Tech : Une Agriculture pour le Gros Capital
Le ministre s’enthousiasme pour les drones et l’agriculture de précision. Et se trahit en ajoutant que « le secteur privé a des compétences que le petit planteur n’a pas toujours ». C’est l’aveu que cette vision high-tech, coûteuse en investissement et en maintenance, restera l’apanage des grands groupes agro-industriels.
Cette approche creuse le fossé qu’elle prétend combler. Au lieu de démocratiser l’agriculture, elle la rend encore plus inaccessible aux petits planteurs, ceux qui devraient être au cœur de notre souveraineté alimentaire. Au lieu de les former massivement aux techniques agroécologiques résilientes et peu coûteuses — permaculture, associations de cultures, production de semences paysannes — on leur fait miroiter une technologie qui les endettera, les exclura et les fera dépendre d’importateurs et par conséquent, des prix ascendants pour cause de roupie qui dévisse.
Pourquoi ne pas profiter de notre climat tropical ?
Au-delà de ces erreurs manifestes, c’est ce que le ministre ne dit pas qui est le plus accablant. Aucune mention :
• De l’agriculture urbaine et des jardins communautaires, pourtant essentiels dans une île densément peuplée pour produire localement et recréer du lien social.
• De la permaculture et des jardins-forêts, des systèmes d’une incroyable productivité, parfaitement adaptés à notre climat tropical.
• De l’apiculture biologique. Ignorer les abeilles, sentinelles de nos écosystèmes, c’est scier la branche sur laquelle notre sécurité alimentaire est assise.
Manger du poisson d’élevage
Le ministre reste obsédé par la production de 300 000 tonnes de sucre et en même temps il autorise la conversion de terres agricoles en terrains constructibles. Et les cultures vivrières qui ne couvrent que 7 000 hectares, dramatiquement insuffisants pour notre sécurité alimentaire !
Pire, il conseille aux Mauriciens, entourés d’un océan, de manger du poisson d’eau douce comme au Brésil. C’est d’un absurde achevé qui montre une déconnexion totale des réalités locales.
Nous restons prisonniers d’un schéma colonial : exporter nos meilleurs produits (sucre, poissons, fruits) et importer pour la population locale une nourriture de moindre qualité, bourrés de conservateurs et d’autres cochonneries, difficilement retraçables. Le slogan « produire ce que nous mangeons » est une formule creuse tant qu’il ne s’accompagne pas de la volonté de nourrir les Mauriciens d’abord, avec le meilleur de leur terre.
La « destruction constructive » dont parle le ministre n’est qu’un concept vide. Une vraie révolution agricole se mesurerait à des objectifs clairs : un plan compost national, des milliers d’hectares convertis en bio, un réseau de jardins partagés, des formations massives à l’agroécologie.
Rien de tout cela n’est à l’horizon. Comme l’a écrit un commentateur lucide, « sanzeman v-dir more of the same, if not worst » (le changement, c’est plus de la même chose, sinon pire). L’autosuffisance alimentaire de Maurice n’a pas bougé d’un iota. Et avec une telle vision, elle n’est qu’un mirage de plus dans le désert des promesses politiques.
Thomas Crook
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