La nomination de Rama Sithanen aux postes simultanés de Gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) et de Président de la Financial Services Commission (FSC) ne relève pas d’une simple rationalisation administrative ; elle marque une concentration de pouvoir sans précédent, aux motivations troublantes, qui menace l’indépendance de nos institutions financières et la crédibilité de Maurice sur la scène internationale. Cette dualité, loin d’être un gage d’efficacité, est le symptôme d’une volonté hégémonique de tout contrôler, et un dangereux retour en arrière pour la gouvernance mauricienne.
Deux institutions, deux missions sacrées… une seule main pour les diriger ?
Il est impératif de rappeler la nature intrinsèque et distincte de ces deux piliers de notre système financier.
* La Banque de Maurice (BoM) est notre banque centrale. Son rôle est constitutionnel et légal : garantir la stabilité des prix par la politique monétaire, assurer la solidité du système bancaire, gérer nos réserves et veiller à la fluidité des paiements. Elle est le gardien de notre monnaie et le bouclier contre les crises macroéconomiques.
* La Financial Services Commission (FSC), quant à elle, est le régulateur du secteur financier non-bancaire. Cela inclut les assurances, les fonds d’investissement, les fiducies et, surtout, le vital secteur du Global Business. Sa mission est de promouvoir l’intégrité, la transparence et la conformité, tout en protégeant les investisseurs et en attirant les flux internationaux.
Confier ces deux régulateurs, aux missions aussi distinctes qu’essentielles, à une seule et même personne est une aberration. C’est une concentration de pouvoirs réglementaires qui n’a pas son pareil dans les démocraties économiques matures, et pour cause : elle viole les principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et de contrôles internes.
Le mélange des genres : Conflits d’intérêts et une volonté de “jouer sur tous les tableaux”
La situation est d’autant plus préoccupante que le passé récent de Rama Sithanen, combiné à cette nouvelle dualité de fonctions, crée un cocktail explosif de conflits d’intérêts :
Arbitre et joueur dans le même match : un passé compromettant
Jusqu’à il y a quelques mois, Rama Sithanen était le PDG d’une entreprise opérant dans le Global Business, un secteur directement régulé par la FSC. Quelques semaines seulement après avoir quitté ce poste, il se retrouve à la tête non seulement de la Banque de Maurice, mais aussi du régulateur du secteur qu’il connaît si intimement, pour l’avoir servi. Comment concilier une impartialité réglementaire absolue lorsque l’on passe si vite du statut de régulé à celui de régulateur en chef ? Cette porosité flagrante entre l’exécutif privé et la régulation publique ne jette pas seulement un doute ; elle mine activement la confiance en l’impartialité du système.
Conflits réglementaires inévitables : quand les garde-fous disparaissent
Qu’advient-il lorsque des conglomérats financiers opèrent à la fois dans le secteur bancaire (supervisé par la BoM) et dans le secteur non-bancaire comme l’assurance ou la gestion d’actifs (réglementé par la FSC) ? Qui prend les décisions cruciales sur les agréments, les sanctions, ou les directives prudentielles ? Lorsque la même personne cumule les deux casquettes, les mécanismes institutionnels de checks and balances s’effondrent. Les informations sensibles, les stratégies réglementaires et les intérêts de chaque secteur se retrouvent concentrés entre les mains d’un seul individu, ouvrant la porte à des décisions potentiellement biaisées, favorisant un secteur au détriment de l’autre, ou pire, dissimulant des problèmes systémiques.
Menace sur l’indépendance décisionnelle : une soumission aux agendas cachés
Le rôle de Gouverneur de la Banque Centrale exige une indépendance absolue vis-à-vis des pressions politiques et commerciales. En assumant la présidence de la FSC – un poste qui, historiquement, relève de la nomination du Ministre des Services Financiers – le Gouverneur s’expose dangereusement à des agendas gouvernementaux ou sectoriels. Cette fusion des pouvoirs fragilise la capacité du régulateur à agir en toute impartialité et en toute transparence, diluant l’autonomie cruciale de la Banque Centrale.
. Un précédent international ? Absolument aucun
Cherchons où l’on observe une telle concentration de pouvoir dans les grands centres financiers mondiaux : Londres, Singapour, New York, Dubaï… Nulle part. Le consensus international est limpide : la séparation fonctionnelle entre la banque centrale et le régulateur du secteur non-bancaire est non négociable pour une gouvernance financière saine. Les institutions internationales comme le FMI, la BRI ou l’OCDE prônent sans équivoque une gouvernance compartimentée, avec des contre-pouvoirs solides pour prévenir toute dérive autoritaire ou captation d’intérêts. Maurice, en dérogeant à cette norme, envoie un signal d’alarme inquiétant à la communauté financière internationale.
Une centralisation dangereuse : l’expression d’une volonté hégémonique
Au-delà des arguments techniques, cette concentration des rôles est perçue par de nombreux analystes comme l’expression d’une volonté hégémonique de Rama Sithanen de contrôler l’intégralité du secteur financier. En détenant les rênes de la politique monétaire et de la supervision bancaire, ainsi que celles de la régulation non-bancaire et du Global Business, il neutralise de fait les contre-pouvoirs et court-circuite les procédures établies. On observe déjà une tendance à marginaliser les techniciens indépendants, à réduire au silence les voix discordantes, et à favoriser les loyautés plutôt que les compétences. Cette dynamique est profondément corrosive pour la méritocratie et la bonne gouvernance au sein de ces institutions vitales. La concentration de tous les leviers décisionnels entre les mains d’un seul individu est une dérive autocratique qui met en péril l’équilibre démocratique et la résilience de notre système financier.
Un appel urgent à la vigilance institutionnelle
Il est impérieux que le Parlement, la Présidence de la République, les opérateurs financiers et l’ensemble des citoyens mauriciens prennent la pleine mesure de cette anomalie institutionnelle. Il ne s’agit pas d’une attaque ad hominem, mais d’une défense des principes démocratiques, de la saine gouvernance et de l’intégrité de nos institutions.
La stabilité financière de Maurice ne peut reposer sur le génie supposé d’un homme providentiel, mais sur la robustesse de ses institutions, la clarté de leurs mandats et leur indépendance inaliénable. Confondre les rôles entre le superviseur bancaire et le régulateur du Global Business fragilise non seulement notre crédibilité internationale, mais expose également le pays à des risques accrus de dérives financières, de sanctions potentielles et, in fine, met en péril la solidité de notre système dans son ensemble.
L’intégrité du système financier mauricien dépend de la clarté des mandats, de l’indépendance des institutions et de la transparence des processus décisionnels. En acceptant ce cumul inédit des fonctions, Maurice envoie un message d’inquiétante confusion et de centralisation excessive à la communauté financière internationale. Il est temps de revenir à une gouvernance équilibrée où chaque institution joue son rôle – sans superposition, sans interférence, et surtout sans la dangereuse concentration d’un pouvoir qui, par nature, devrait être distribué et contrôlé.
Author – Thomas Crook
