Après avoir révélé l’empoisonnement de nos terres par les pesticides, un constat s’impose : l’apiculture aurait pu être notre salut économique et écologique.
LES chiffres sont accablants. Maurice produit 30 à 33 tonnes de miel par an pour une consommation de 300 tonnes. Nous importons 90% de notre miel. Dans un pays tropical béni par une biodiversité florale exceptionnelle, avec un climat idéal, nous sommes incapables de produire notre propre miel.
En 2014, nous comptions 4 330 ruches productives. Le varroa frappe en 2014-2015, décimant 50% du cheptel. La production s’effondre à 15 tonnes en 2016. Aujourd’hui : 625 apiculteurs, 3 500 colonies. Nous peinons à retrouver les niveaux d’avant.
Mais le vrai coupable n’est pas le varroa. C’est nous. Ou plutôt, les pesticides que nous épandons massivement. Comme le constate un apiculteur : « Il y a beaucoup d’insecticides qui sont toujours aspergés sur les fruits et légumes. » Les abeilles ne survivent pas dans un environnement saturé de néonicotinoïdes, de triazoles et de paraquat. Elles meurent, tout simplement.
Un spécialiste de l’apiculture confirme : les pesticides nuisent au bon développement des abeilles. La déforestation galopante, le développement immobilier à Tamarin, Roches-Noires réduisent les surfaces de plantes mellifères.
Des Mesures Gouvernementales Symboliques
Le budget 2022-2023 annonce en grande pompe des aides qui confinent au ridicule :
– Rs 500 par reine d’abeille (maximum dix). Le prix d’un déjeuner pour acheter le cœur d’une colonie. Une insulte déguisée en générosité.
– Rs 150 000 pour sécuriser la zone apicole. Subvention unique pour 625 apiculteurs.
– Rs 100 000 maximum pour l’équipement. Une plaisanterie quand une exploitation sérieuse nécessite des centaines de milliers de roupies.
– Accès gratuit à trois zones : soixante apiculteurs bénéficiaires. Trois zones pour 625 apiculteurs.
– Formation à Albion : 100 personnes formées. Sur 1,3 million d’habitants.
L’objectif ? Atteindre 250 tonnes « dans les années à venir ». Sans calendrier. Sans plan d’action. Sans s’attaquer au vrai problème : les pesticides.
Ces mesurettes ne sont pas un programme de développement. Ce sont des gadgets budgétaires destinés à donner l’illusion de l’action.
Quand d’Autres Construisent des Empires
La Nouvelle-Zélande a transformé le miel de manuka en machine à cash. En 2020, les exportations ont dépassé 470 millions de dollars, contre 10 millions au début des années 2000. Le miel de manuka monofloral représente 70% de ces revenus. Prix moyen à l’exportation : 28 USD/kg contre 3-4 USD pour les autres pays. Croissance annuelle de 19% pendant dix ans.
Comment ? Protection juridique acharnée de l’appellation (6 millions de dollars investis), certification scientifique rigoureuse avec cinq marqueurs biochimiques obligatoires, traçabilité totale, R&D massive, positionnement premium. Résultat : une industrie qui génère des centaines de millions, crée des milliers d’emplois, positionne le pays comme référence mondiale.
L’Europe a pris le virage du bio. En France, 16% de la production est certifiée biologique (4 978 tonnes en 2022). Cahier des charges draconien : ruches dans un rayon de 3 km de cultures bio ou végétation sauvage non traitée, interdiction des produits chimiques de synthèse, cire bio obligatoire, contrôles réguliers. Cette exigence crée une valeur ajoutée considérable. L’UE comptait 941 000 ruches bio en 2018.
Abeilles urbaines
Paris, New York, Montréal ont développé l’apiculture urbaine. Paris compte plus de 2 000 ruches. Formations massives, plantation de plantes mellifères, réglementation adaptée. Avantage décisif : depuis 2017 en France, la loi « Zéro phyto » interdit les pesticides dans les espaces publics. Les abeilles de ville sont moins exposées aux toxiques que celles des campagnes.
Maurice possédait tous les atouts : climat tropical idéal, biodiversité florale unique, image « nature et premium », diaspora influente, marché touristique captif (un million de visiteurs/an), taille critique permettant un contrôle qualité rigoureux. Nous aurions pu devenir le « Manuka de l’océan Indien ».
Imaginons que nous ayons fait dès 2005 de l’apiculture bio une priorité. En 2025, nous aurions : 10 000 ruches certifiées, 500 tonnes de production, autosuffisance atteinte, exportations de 10-15 millions USD/an, le miel mauricien dans les épiceries fines londoniennes, un festival international du miel, des milliers d’emplois créés.
Ce n’est pas de la science-fiction. C’est exactement ce qu’a fait la Nouvelle-Zélande. C’était à notre portée.
Un million d’arbres mellifères
Développer l’apiculture ne nécessite pas d’investissements pharaoniques :
Plantes mellifères : Programme national d’un million d’arbres mellifères en cinq ans. Obligation légale de 30% d’espaces plantés dans tout développement (vs 2% actuellement). Conversion des terres en jachère. Et pourquoi pas de tournesols, comme le suggère Senneville ? L’Afrique du Sud produit du miel de macadamia.
Apiculture urbaine : Ruches sur les toits des bâtiments publics, ruchers collectifs dans les parcs, formations gratuites hebdomadaires, réglementation simplifiée, programme scolaire « Adopte une ruche ». À Port-Louis, il n’y a pas de champs arrosés de paraquat. Les abeilles y seraient plus en sécurité qu’en campagne.
Formation massive : Former 10 000 personnes en cinq ans, pas 100. Formations courtes gratuites pour le grand public, formations longues diplômantes pour les professionnels, compagnonnage, centres régionaux, bourses pour formations à l’étranger.
Interdiction des pesticides tueurs : On ne peut pas développer l’apiculture en épandant des néonicotinoïdes. Interdiction immédiate des néonicotinoïdes (les trois principaux néonicotinoïdes – clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame – déjà bannis dans l’UE depuis 2018), sortie du paraquat en deux ans, zones tampons de 500 m autour des ruchers, sanctions dissuasives.
Filière structurée : Organisme certificateur agréé internationalement, laboratoire d’analyse, marque collective protégée, coopérative nationale, miellerie collective moderne, boutiques dédiées.
Intégration touristique : Visites de ruchers (25-30 USD/personne), ateliers d’extraction, parcours thématiques, spa au miel dans les hôtels, gastronomie, coffrets premium à l’aéroport. Un touriste achetant un pot à 15-20 euros, c’est un chiffre d’affaires immédiat et une publicité internationale gratuite.
La Peur Comme Moteur
L’apiculture est la réponse positive à cette peur. Une abeille qui butine, c’est la preuve d’un environnement sain. Du miel dans un pot, c’est la promesse d’un aliment pur. Un apiculteur devant des enfants émerveillés, c’est de l’éducation en action.
Développer massivement l’apiculture, c’est choisir la vie contre l’extinction du vivant, la biodiversité contre la monoculture chimique, l’économie intelligente contre l’appauvrissement programmé.
Mais cela exige une décision politique courageuse : choisir entre les lobbies des pesticides et l’avenir de nos enfants.
Interdire les pesticides tueurs
Maurice se trouve face à une bifurcation. D’un côté, le statu quo : continuer à importer notre miel, asphyxier nos abeilles, laisser mourir une filière qui aurait pu rapporter des dizaines de millions et créer des milliers d’emplois.
De l’autre, le sursaut : interdire les pesticides tueurs d’abeilles, planter massivement des mellifères, former des milliers d’apiculteurs, développer l’apiculture urbaine, certifier en bio, construire une marque reconnue internationalement, faire du miel mauricien un produit d’exception.
La balle est dans le camp du Ministre Arvin Boolell . Soit il continue à distribuer 500 roupies par reine en se gargarisant, soit il lance un véritable plan national apicole avec des moyens, des objectifs, un calendrier et une détermination sans faille.
Nos abeilles meurent. Notre sol meurt. Notre souveraineté s’évapore. Mais il reste une chance – mince, fragile – de transformer la peur en action.
Le miel mauricien pourrait être notre or liquide. Au lieu de cela, il reste amer – amer du goût de l’opportunité gâchée, des décisions non prises, du courage absent.
Combien de temps encore accepterons-nous cet abandon ?
Thomas Crook
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