Le 5 septembre, sur Radio Plus, Rama Sithanen a éludé plusieurs questions embarrassantes. Mais coincé par la journaliste à propos du terrain de la MIC qui devait être vendu à Sotravic, le gouverneur de la BOM s’est défendu en arguant que la vente n’a finalement pas eu lieu. Il a même insinué que c’est le Second Deputy Governor (SDG) d’alors Gérard Sanspeur qui avait porté le dossier au conseil d’administration de la MIC.
Ce que le Gouverneur a omis de préciser, c’est que Sanspeur n’avait pas l’autorité de soumettre un projet au conseil. Conformément aux procédures, seul le First Deputy Governor Rajeev Hasnah, en sa qualité de Chairman de la MIC, détient la prérogative de valider et de présenter les dossiers au board. Ce n’est que parce que l’affaire Sotravic a été portée devant le conseil, et rejetée, que cette opération aux allures douteuses n’a pas pu aboutir. Le Gouverneur a donc travesti la réalité pour brouiller les responsabilités.
Sithanen utilisera cette même tactique concernant la demande de licence bancaire faite par Bank of Africa (BOA) : la licence n’a pas été octroyée à la fin. Encore une fois le gouverneur ne dit pas pourquoi. Et commet une gaffe, en voulant convaincre : « Line (Tevin, ndlr) ziste dire coum sa, zoine sa boug la (de la BOA, ndlr). » Tout le monde a compris : le gouverneur de la BOM venait de reconnaitre que son fils Tevin avait tenté de faire pression sur Gérard Sanspeur pour que ce dernier reçoive Amine Bouabid, le PDG de la BOA.
On apprend de plus que devant le refus de Sanspeur, c’est vers le FDG Rajeev Hasnah que se tournera Tevin Sithanen avec succès. Il y aurait même des preuves de cette rencontre entre le FDG et le PDG de la BOA.
ESAAMLG en embuscade
Cet aveu inattendu et probablement involontaire de la part de Rama Sithanen place maintenant la BOM et tout le pays, nous dit un banquier, dans une très mauvaise situation. « Maurice s’apprête à affronter sa Mutual Evaluation par l’ESAAMLG dans les prochains mois. Cette évaluation ne ressemble en rien aux exercices de complaisance du passé. Depuis 2012, le GAFI a révolutionné sa méthodologie autour de onze Immediate Outcomes (IOs) qui mesurent l’efficacité réelle, et pas seulement l’existence de textes juridiques. »
L’IO 3, nous explique notre interlocuteur, « exige que les superviseurs financiers démontrent une indépendance opérationnelle totale et une capacité à identifier, évaluer et atténuer les risques de blanchiment. Le critère d’efficacité est implacable : les régulateurs agissent-ils sans influence politique, familiale ou économique ? »
Les évaluateurs d’ESAAMLG pourraient, ajoute le banquier, disposer d’un dossier prouvant que le processus d’octroi de licences bancaires peut être contourné par des relations personnelles, que le Gouverneur lui-même ne serait pas étranger à l’orchestration de ces contournements et qu’il n’existe aucun mécanisme de sauvegarde.
Dégradation ?
L’IO 6 mesure la capacité d’un pays à implémenter efficacement les sanctions financières ciblées. Au cœur de cette évaluation : la robustesse institutionnelle du régulateur financier et sa capacité à résister aux pressions.
Et de se demander « comment Maurice pourra-t-elle convaincre l’ESAAMLG de sa capacité à appliquer des sanctions internationales lorsque sa propre Banque centrale cède aux pressions familiales pour l’octroi d’une simple licence bancaire ? Les conséquences de ce scandale pourraient dépasser largement les frontières de la Banque de Maurice et menaceraient l’architecture réputationnelle sur laquelle repose notre place financière. Et une dégradation AML/CFT par l’ESAAMLG. »
Si les responsables impliqués demeurent en poste, cela constituerait une preuve irréfutable que Maurice tolère la corruption au sommet de ses institutions financières, nous fait-on comprendre. Les conséquences éventuelles ? Une dégradation immédiate de la notation sur l’IO 3 (Supervision), des recommandations stratégiques exigeant des réformes structurelles et surtout une surveillance renforcée pouvant déboucher sur un retour en liste grise du GAFI !
L’onde de choc internationale
Et quid de nos partenaires financiers internationaux comme le FMI, la Banque mondiale, la Bank for international settlements (BIS) et les banques correspondantes qui évaluent en permanence le risque-pays Maurice ? avons-nous demandé au banquier. Sa réponse : « Il existe un risque que les banques correspondantes revoient leurs relations avec les institutions mauriciennes. Aussi, les fonds internationaux qui intègrent désormais un facteur de gouvernance défaillante dans leurs calculs peuvent hésiter avant de venir à Maurice. C’est sans parler du risque que le doute sur l’intégrité du processus de licensing contamine l’ensemble du secteur bancaire. »
Maurice n’a que quelques semaines pour démontrer sa capacité à auto-corriger ses défaillances institutionnelles car l’ESAAMLG évaluera non seulement le scandale, mais surtout la réaction des autorités.
Le Premier ministre Navin Ramgoolam maintiendra-t-il Rama Sithanen et Rajeev Hasnah à leurs postes et refuser de sauver ce qui peut l’être ? « S’il ne le fait pas, c’est comme-ci on disait à ESAAMLG que le trafic d’influence est une pratique acceptable ! L’équation est simple : soit Maurice prend des mesures immédiates et démontre sa tolérance zéro envers la corruption institutionnelle, soit le pays s’expose à des sanctions qui détruiront des décennies d’efforts à bâtir une place financière crédible. »
